Entretien avec Rony Brauman

Publié le par Adriana Evangelizt

 

 

Entretien avec Rony Brauman



par Bahar Makooi



L’analyse de Rony Brauman, ex-président de Médecins sans frontières (MSF), une des principales ONG françaises dans le monde. Ce médecin et intellectuel engagé se montre de plus en plus critique vis-à-vis de certaines dérives de l’humanitaire. Il y a quelques mois déjà il avait tiré la sonnette d’alarme en en reprochant à Bernard Kouchner, fondateur de MSF et actuel ministre des Affaires étrangères d’avoir dramatisé la situation au Darfour et mis en avant le « droit d’ingérence ».
 

L’affaire de l’Arche de Zoé révèle-t-elle les limites de l’humanitaire ?

 

Cette affaire montre que la morale, l’indignation ne sont pas suffisantes pour guider l’action humanitaire. Elle rappelle qu’il y a des normes juridiques qui règlent l’action humanitaire, le droit international mais aussi le droit national des pays dans lesquels interviennent ces ONG. Décider de violer ces normes juridiques est un acte grave qui doit être réfléchi et justifié. Si il y a un grand carnage et que des frontières s’opposent au passage des secouristes pour sauver des vies, on comprend que ces frontières soient franchies de manière illicite même si c’est une infraction à la loi.

 

Justement, vous avez reproché à certains intellectuels français et notamment à Bernard Kouchner d’avoir exagéré la situation au Darfour et d’avoir une responsabilité morale dans l’affaire de l’Arche de Zoé ?

 

Ce que je leur reproche c’est d’avoir décrit une situation, où en effet le terme de génocide avec bien d’autres choses contribuait à dramatiser l’évènements, à faire croire que les violences contre les civils constatées pendant les six premiers mois de cette guerre restent toujours au même niveau d’intensité, que personne ne fait rien, que la population est donc livrée pieds et poings liées à ses bourreaux. Il y a là une méconnaissance voulue et dramatisée de l’énorme dispositif de l’aide internationale qui s’est déployée au Darfour et au Tchad.

 

Pensez-vous que leurs idées aient pu influencer les membres de l’Arche de Zoé ?

 

Quand on met en avant le côté dramatique voir « hyper sanglant » d’une situation et qu’on fait mine de constater que personne ne s’y intéresse, qu’on fait des meetings, qu’on organise des semaines de sensibilisation pour les médias…Tout cela est destiné à faire penser que personne ne fait rien et qu’il faut se mobiliser. Ces affirmations sont très problématiques et semblent être en relation avec ce qu’on fait les gens de l’Arche de Zoé.

Il y a des comportements qui peuvent être des comportements impérialistes, dominateurs, paternalistes dans le monde de l’aide. Je suis bien conscient de cela, je partage le ressentiment d’un certain nombre d’africains. Mais dans l’affaire de Zoé comme dans bien d’autres c’est bien plus le fait que ce soit des enfants que le fait que ce soient des africains qui a motivé cette initiative intempestive.

 

Concernant ces comportements « paternalistes » chez les humanitaires, faites vous la différence entre les ONG et les institutions comme l’Unicef ?

 

Pas nécessairement. Il peut y avoir des comportements qui sont colonialistes de la part de membres d’une agence des Nations unies comme l’Unicef, mais aussi de la part de membres d’ONG.

L’internalisation du personnel est une solution à cela. Elle évite ce type de comportements. Et ça c’est vrai aussi bien pour les Nations unies que les ONG. Pour sortir de visions culturalistes étriquées et très mauvaises conseillères, comme pour élargir le domaine des compétences auxquels ont fait appel.

J’espère que l‘Arche de Zoé va servir de leçon aux gens qui croient que seule leur vision de choses, seule leur indignation compte. Il faut de l’émotion pour agir, mais si on s’en tient à sa propre émotion on fonctionne dans une sorte d’égoïsme sublime qui est catastrophique.


Sources
Marseille Solidaire

Posté par Adriana Evangelizt



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